Madalyn Murray O’Hair

“Save you? God can’t even cure acne!” -MMO
Ecrit par Lola Mansour

Ma ”culture générale” découle souvent de concours de circonstances ou quiproquos, aux points de départ peu propices à l’éveil intellectuel. Ainsi, j’ai été introduite à Zarathustra en éternuant dans une toilette publique, à côté d’une philosophe qui avait cru entendre “Nietzsche!”. Ou encore, je me suis retrouvée pendant 1an en immersion dans une école flamande à Bruxelles, alors que j’avais simplement évoqué à ma mère l’existence d’une “école de judo à Anvers” (à l’époque, je n’avais sans doute pas suffisamment mis l’emphase sur le terme JUDO entre “école” et “Anvers”…).
Dans cette lignée, la découverte de l’activiste Madalyn Murray O’Hair résulte d’un binge watching sur Netflix, grâce à une suggestion automatique, alors que je venais d’épuiser tous les épisodes de “Glow” (une série sur des lutteuses de catch). En plus, il ne s’agit même pas de mon compte, puisque je squatte toujours l’abonnement de ma sœur🤷‍♀️

“The most hated woman in America” (Netflix)
Le film relate le kidnapping puis, plusieurs semaines plus tard, l’assassinat de la plus grande défenseuse de la laïcité aux USA: Madalyn Murray O’Hair, de son fils Jon Garth Murray et sa petite fille Robin Murray O’Hair par 3 bandits (dont un ancien employé de son association: American Atheists). Au départ, un journaliste mènera l’enquête à propos de cette “mystérieuse disparition”, puisque la police ne s’en soucie pas et les voisins peinent à cacher leur joie. Quelques flashbacks nous permettront de comprendre cette négligence (voire animosité) des autorités et de l’opinion publique. Notamment, la victoire la plus marquante de la militante (en 1963): son action juridique à la Cour Suprême des États-Unis contre la lecture obligatoire de la prière dans les écoles publiques.
Un biopic à la profondeur d’un flacon urinaire de fourmi. En dehors de l’interprétation convaincante de l’actrice principale (Melissa Leo), Netflix a choisi la facilité en réduisant le parcours de Madalyn Murray O’Hair à une saga policière stérile et insipide, digne d’une émission “Strip-Tease”. Les scénaristes ont dépeint une leader sulfureuse, un fils cadet abruti dans les jupons de sa mère et une affaire de finances à l’issue tragique. Heureusement, les quelques séquences sur les débats d’idées, en plus du tempérament dynamique et incisif de la fondatrice du mouvement athée, m’ont donné envie de la découvrir en dehors de la plateforme de streaming.

D’abord par curiosité, j’ai cliqué sur une première conférence de la vraie Madalyn aux côtés de Jon Garth Murray en 1995 dans une université du Texas. Ces 20 premières minutes se sont ensuite transformées en une dizaine d’heures d’écoute de TOUTES les archives disponibles en ligne (soit l’équivalent d’un vol Bruxelles-Tokyo).

Diplômée en droit à l’Université du Texas après avoir servi dans l’armée américaine pendant la seconde guerre mondiale, elle doit sa (im)popularité à sa campagne visant à retirer la prière biblique obligatoire dans les écoles publiques. Combat qu’elle portera devant la Cour Suprême en se basant sur le premier amendement de la Constitution pour la liberté de religion et la séparation de la religion et l’Etat: “Congress shall make no law respecting an establishment of religion, or prohibiting the free exercise thereof; or abridging the freedom of speech, or of the press; or the right of the people peaceably to assemble, and to petition the Government for a redress of grievances.

Dans une société pieuse (encore en 2020, le président élu termine ses discours par “God bless our troops”…), elle sera rapidement diabolisée pour ses critiques de la religion (particulièrement du christianisme, vu l’influence des églises évangéliques aux USA). Au-delà des batailles juridiques pour plus de laïcité au sein des institutions publiques, ses discours, impressionnants de modernité et de pertinence, abordent sans concessions les questions féministes, écologiques, raciales, économiques, sociales, géopolitiques, religieuses et toutes les libertés (dont l’ultime à ses yeux: affranchir les humains de leurs croyances au profit de la pensée rationnelle et logique).
Au cours de sa vie, elle n’aura jamais hésité à questionner de nombreux sujets politiques sensibles comme les guerres en Irak et l’occupation des troupes américaines au Moyen-Orient, le nucléaire, la pollution des lacs par les multinationales, le réchauffement climatique, l’Etat d’Israël, la Constitution américaine et la légitimité des “Founding Fathers”, l’islam, le christianisme, le judaïsme, la domination masculine, le système monétaire, la pauvreté… La militante nuança même la prise de position d’Abraham Lincoln lorsqu’il abolit l’esclavage, en contextualisant une décision selon elle ”plus politique qu’idéologique”.

Souvent invitée pour des débats télévisés, seule contre tous, face à des hommes d’église, un animateur partial et une audience hostile, elle exprimait ses opinions “hérétiques” sans le moindre filtre. Au contraire, les confrontations animées et yeux écarquillés des bigot.e.s semblaient la stimuler.
Par exemple, lorsqu’on l’interrogeait sur les raisons de son “déni de dieu”, elle répondait: “Le meilleur moyen de devenir athée, c’ est de lire la Bible!”. Issue d’une famille croyante, elle racontait avoir lu la Bible pour la première fois en entier à l’âge de treize ans et elle ne s’était jamais remise d’un tel “ramassis de bullshit”. Aussi, lorsqu’on lui reprochait de vouloir interdire toute pratique religieuse, elle précisait que sa volonté de séparation visait uniquement les domaines publics, bénéficiant de l’argent des taxes. “En privé, tout le monde a le droit d’être cinglé et de pratiquer ses folies”- ajoutait-elle, avec un rictus.
Indéniablement, Madalyn Murray O’Hair était une “puncheuse”: si elle avait été boxeuse, elle aurait mis tous ses adversaires KO en quelques crochets!

Ses idées radicales lui vaudront le lot d’accusations classiques envers tout regard critique du système américain: “communiste athée corrompue par Moscou” -en opposition aux braves américains croyants des années 60.
Son parcours s’acheva en 1995 dans des circonstances tragiques. En éliminant la leader charismatique, son fils cadet John Garth et sa petite fille Robin (tous deux prometteurs pour assurer la relève), les criminels auront également éteint la vitalité du mouvement American Atheists. L’association existe toujours mais celle-ci semble essoufflée. Difficile du succéder à la personnalité aussi cinglante qu’éclairée de Madalyn Murray O’Hair!

© Photos de Madalyn Murray O’Hair prises sur la page Facebook: “American Atheists”

Cette lecture vous a plu ?

Note moyenne 4.4 / 5. Nombre de votes: 7

S’abonner
Notification pour
guest

1 Commentaire
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Pierre de Montfalcon
Pierre de Montfalcon
1 année il y a

Merci pour cet article sur cette personne dont je découvre ce jour l’existence et dont je me suis demandé si l’assassinat avait été l’oeuvre d’extrémistes religieux. Il semble bien que non, l’appât du gain semblant être plus fort en ce pays que la haine, pourtant très forte, contre les athées.

Partagez ce post sur:

Facebook
Twitter
LinkedIn