Des champion.ne.s qui osent!

Pour leurs engagements, certain.e.s ont renoncé à un titre mondial, à une saison sportive, à l’Evénement de leur carrière. D’autres n’ont pas hésité à courir le risque d’une suspension, de sanctions financières (des fédérations ou sponsors) ou même d’insultes et de menaces. Des prises de position fortes sur le terrain afin de véhiculer un message, de militer, de soutenir, de contester ou s’affirmer dans divers domaines: l’égalité des chances, les soins de santé, les violences raciales, les droits des femmes... Voici quelques champion.ne.s exceptionnel.le.s, prêt.e.s à laisser de côté leurs performances sportives pour se mettre au service de la société.
Ecrit par Lola Mansour

Parfois, une image suffit pour bien commencer sa journée. Pour ma part, mercredi dernier, c’était celle de Paula Dapena, assise le dos tourné, au milieu de son équipe de foot qui rend hommage à Maradona. En matière d’impact, cette photo vaut cent discours contre les violences faites aux femmes! Tous les éléments y sont: la joueuse isolée, refusant le bêlement collectif; certaines coéquipières gênées qui pincent les lèvres ou détournent le regard, d’autres restent figées. Un symbole puissant, illustrant à la fois la difficulté à s’indigner (surtout lorsqu’il s’agit de pointer du doigt son propre milieu) et la nécessité de telles prises de position publiques (hélas, au prix de menaces de mort dans le cas de la footballeuse espagnole). Grâce à ce coup de maîtresse, cette sportive, à elle seule, aura réussi à faire parler des violences conjugales et ouvrir le débat sur les valeurs que nous soutenons quand on applaudit ou honore une personnalité.
Question schizophrène: comment séparer le pied (ou la main…) qui marque des buts de celui qui tabasse sa conjointe?

Ces engagements assumés sont d’autant plus rares compte tenu les nombreuses exigences d’une carrière sportive, où la moindre perturbation peut s’avérer fatale.
La performance monopolisant toutes les préoccupations, les prises de conscience -quand il y en a- se limitent généralement à de brèves discussions de vestiaires, avant de se (re)concentrer sur la prochaine médaille ou le futur record. Le mélange de passion, de profession et d’“ultra-concurrence” est propice aux œillères: l’athlète poussera son corps et son esprit dans ses retranchements, éloignant tout élément susceptible de freiner son ascension vers le sommet.
Suivant cette logique, le reste devient secondaire: les douleurs, la fatigue, les horaires, les abus, les injustices, les discriminations… et, vous pensez bien, les malheurs du monde! Comment, dans un tel contexte, envisager de sacrifier “volontairement” son rêve ultime?
Heureusement, certain.e.s précurseur.e.s acceptent de prendre ces risques. Car le sport est aussi une plateforme puissante de sensibilisation et de revendication. Ils et elles n’hésitent pas à compromettre leurs ambitions personnelles pour se consacrer à des causes essentielles.
Cette semaine, j’ai eu envie de mettre en avant quelques profils hors du commun de ces dernières années.




Laurent Duvernay-Tardif

Joueur en NFL pour les Kansas City Chiefs (football américain), il a remporté avec son équipe le dernier Super Bowl à Miami le 2 février 2020. Le Canadien, également diplômé en médecine à l’Université de McGill (il suit désormais une spécialisation à Harvard), n’a pas hésité à troquer ses équipements de foot pour prêter main forte (c’est le cas de le dire!) aux hôpitaux du Québec dès le début de la pandémie du COVID-19. En juillet, il a annoncé renoncer à la prochaine saison de la NFL -quitte à perdre sa place de titulaire- pour continuer à soigner les patients aux urgences: “Cette décision a été l’une des plus difficiles que j’ai dû prendre dans ma vie. Ceci dit, considérant les risques de santé, je dois faire ce qui est le mieux pour moi. C’est pour cela que j’ai décidé de prendre l’option de ne pas jouer cette saison selon la clause “Opt out” négociée par l’Association des joueurs et la ligue, qui est disponible pour l’ensemble des joueurs de la NFL. Mon expérience sur les premières lignes au printemps dernier m’a apporté une perspective différente face à la pandémie et le stress qu’elle met sur le système de santé. Si je suis amené à me retrouver dans une situation comportant des risques significatifs, je le ferai en traitant des patients.




Anna Muzychuk

Dans les sports cérébraux, cette “Grand Maître” d’échecs avait boycotté les Championnats du Monde de 2017, organisés en Arabie Saoudite (où elle était censée défendre ses 2 titres en “parties rapides” et en “blitz”). Dès l’annonce du lieu de compétition -et en dépit d’un prize money 6 fois plus important que dans les autres championnats-, sa sœur et elle avaient immédiatement refusé de jouer dans un pays qui bafoue les droits fondamentaux de ses citoyens et citoyennes. Dans son TedTalk (que je vous encourage à découvrir ci-dessous!), l’Ukrainienne évoque ses regrets lors d’un Championnat du Monde en Iran où, malgré une excellente 2e place, un malaise persistant ne l’avait plus quittée. En participant, elle estimait avoir soutenu indirectement un système qui considère les femmes comme des citoyennes de seconde zone. En 2017, elle aura donc fait le choix déchirant de passer des nuits plus paisibles, loin des titres et des dollars de Riyad.





Naomi Osaka

Naomi Osaka s’est une fois de plus illustrée au dernier US Open, non seulement par ses victoires, mais aussi avec ses masques affichant le nom de citoyen.ne.s américain.e.s abbatu.e.s parce qu’ils et elles étaient noir.e.s. En pleine période de mobilisation massive (après les images insoutenables de l’assassinat de George Floyd), la tenniswoman a décidé de porter ces noms et la question des violences raciales sur le court. Généralement pudique, la Japonaise explique avoir eu un électrochoc durant le lockdown, où l’interruption brutale de sa saison lui a permis de revoir certaines priorités. Au tournoi de Cincinnati, elle avait refusé de jouer la demi-finale après l’interpellation policière de Jacob Blake qui s’était soldée par 7 balles dans le dos du jeune afro-américain. Ambassadrice du tennis, elle souhaite servir de vecteur pour dénoncer ces discriminations qui, dans leur forme la plus violente, mènent encore au massacre d’une personne en raison de sa couleur de peau.





Ada Hegerberg

Ada Hegerberg, prodige du football, avait déjà laissé son empreinte lors de la soirée des Ballons d’Or en 2018, quand Martin Solveig, le maître de cérémonie, estimait pertinent de lui demander “si elle savait twerker”. Une question encore jamais posée aux autres lauréats: Zidane, Messie, Ronaldo (je ne connais que ces 3 noms)… Elle avait alors répondu un “non.” ferme et le DJ n’eut qu’à se reconvertir à l’élevage de bovins.
En 2019, elle s’était positionnée, une fois de plus, en boycottant la Coupe du Monde avec l’équipe norvégienne. Événement d’autant plus particulier vu l’engouement médiatique en Europe pour les équipes féminines de foot. Elle reprochait à sa fédération le manque de moyens, d’équipements, de soutien, les inégalités salariales et les conditions d’entraînement encore difficiles pour les joueuses professionnelles.

« J’ai vu comment ça se passe avec la Fédération norvégienne, il y a un fonctionnement que je n’accepte pas. Ce n’est pas la Coupe du monde le plus important : il y a des choix difficiles à faire dans une carrière, j’aurais aimé jouer pour mon pays mais, si tu es sûre de toi et de tes valeurs, tu peux assumer ces sacrifices. On a encore du travail à faire pour le développement du football au féminin. »





Colin Kaepernick, Megan Rapinoe et les basketteuses de la WNBA

Avant de voir de nombreux genoux à terre au sein des équipes sportives du monde entier, Colin Kaepernick fut le premier à s’agenouiller durant l’hymne américain en 2016. Un signe de protestation contre les violences policières et le racisme systémique aux USA. Ce geste polémique, dans un pays ultra patriotique, lui aura coûté la perte de son contrat professionnel avec l’équipe de San Francisco (à ce jour, aucune autre équipe de la NFL ne l’a engagé) et l’abandon de nombreux sponsors. Aujourd’hui, il continue à s’entraîner dans l’espoir de retrouver les terrains de football américain et, grâce à sa notoriété, il intervient régulièrement en faveur des “Blacks Lives Matter”.

A l’époque, seule Megan Rapinoe, engagée dans de multiples causes féministes, sociales et LGBTQ+, avait suivi le mouvement en reproduisant le geste sur le terrain de foot durant un match. Ce ralliement lui avait valu une menace de suspension de la part de la fédération en cas de “récidive”, ainsi qu’un backlash médiatique. Les suprémacistes blancs la considéraient comme une traîtresse et une partie de la communauté noire lui avait reproché de récupérer un combat “qui ne lui appartenait pas”.

Le virus de l’activisme s’était également propagé au sein des basketteuses de la WNBA. D’abord, les joueuses du Minnesota Lynx avaient décidé de s’échauffer avec des t-shirts imprimés “Black Lives Matter”, “Change starts with us” et “Justice and Accountability”. Rapidement, plusieurs équipes avaient suivi avec d’autres punchlines. Les joueuses des Washington Mystics refusaient même de parler de basketball aux medias et répondaient uniquement si les questions concernaient les BLM.
Plusieurs joueuses et équipes ont eu des amendes (entre 200$ et 5000$) à cause des slogans sur leurs t-shirts, mais ces sanctions ne les ont pas découragées. Au contraire, le mouvement est devenu la plus large plateforme de protestation dans l’histoire du sport américain.

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