C.M. Junior (judo): la performance au service de la maltraitance?

Ecrit par Lola Mansour

Du 6 au 10 octobre 2021 avaient lieu les Championnats du Monde Junior, à Olbia (Italie). Un beau rendez-vous pour toutes les étoiles montantes du judo international, après des mois d’attente et une progression ralentie par la pandémie. Retour donc au calendrier sportif, aux objectifs, aux préparations, aux stages, voyages, accréditations, retrouvailles, regards en chien de faïence, régimes, pesées… Hajimé !
L’occasion pour notre équipe talentueuse de se mesurer aux meilleurs espoirs du monde et acquérir de l’expérience en prévision d’une carrière professionnelle.

Si vous souhaitez plus d’informations concernant la compétition, voici le lien ci-dessous. Car l’objet de mon article ne se concentre ni sur l’aspect technique des combats, ni sur les résultats (podium ou pas).
Je partage ici une réflexion, suite à une situation sur le tatami de ces mondiaux qui m’a fortement interpelée (et, par la même occasion, rappelé de mauvaises expériences durant mon propre parcours sportif). Ma réaction ne cible pas une judokate, ni un groupe en particulier, mais plutôt un système qui se perpétue au fil des années, sans tenir compte des erreurs passées.


Tableaux et résultats disponibles sur https://live.ijf.org/wc_jun2021/brackets

« Héroïsme » d’une combattante ou irresponsabilité?

  • Extrait d’article dans la DH des Sports (10/10/2021), signé Guy Beauclercq:

Engagée en -63 kg, lors du Mondial juniors, à Olbia (Italie), Alessia Corrao était exemptée du premier tour avant d’affronter l’Équatorienne Ortiz, double médaillée de bronze aux Championnats panaméricains. Et ce combat a failli tourner au drame pour la jeune Liégeoise qui, courageusement, a résisté à une clé de bras de son adversaire avant de s’en sortir ! Non sans mal car Alessia mit un long moment avant de pouvoir poursuivre en raison d’une vive douleur au coude gauche. Mais, dans la foulée, elle balança sa rivale à deux reprises pour s’offrir une victoire inespérée compte tenu des circonstances.

De fait, la Liégeoise ne le savait pas encore, mais elle avait le coude cassé !

“Alessia est une battante, une fonceuse. Elle met tellement de coeur dans ses combats…” explique Cédric Taymans, le DT francophone. “Elle a donc continué ce face-à-face, puis les autres avec un tape. Elle avait mal, mais nous ne pensions absolument pas à une fracture. Ce n’est qu’en rentrant en Belgique vendredi soir que, vu le gonflement et la couleur bleue de son bras, elle a décidé de passer une radio. Et le verdict est tombé samedi, en fin de matinée : coude cassé !”

Une énième blessure pour Alessia Corrao qui relevait déjà de huit mois sans judo à cause de douleurs au dos, dues à une irritation nerveuse. Mais une fracture qui ne l’a donc pas empêchée de poursuivre la compétition.

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Comme le stipule l’article, on peut observer plus bas le combat où Alessia -dominante à tous points de vue- se fait surprendre au sol par une clé de bras opportuniste et bien placée de son adversaire. C’est à la fois le drame et la beauté de notre sport: tout peut basculer en quelques secondes et personne n’est à l’abri d’une (sur)prise implacable qui met fin au combat sans espoir de repêchage… Mais une chance de victoire vaut bien le sacrifice de son bras, n’est-ce pas?
Tous les éléments autour de l’athlète l’affirment: les encouragements des coachs, les bandes de tape du staff médical, les éloges de l’entourage, les exemples des aîné.e.s, les commentaires admiratifs (et un « principe de Peter » un peu contagieux).
Une ode au «dépassement de soi», au «caractère» et à la médaille que nous chantons en harmonie, comme la chorale de Sister Act! Alors, on appuie collectivement sur l’accélérateur, coûte que coûte, et on valorise cette souffrance poussée à son paroxysme au nom de la performance.


Quel genre de système conditionne ses athlètes à se laisser casser le coude pour ne pas abandonner? Et quel message envoie-t-on à une jeune championne (et une jeune femme) en pleine construction, lorsque les personnes responsables de sa carrière lui permettent de combattre malgré une telle blessure?
Cet exemple récent n’est pas un cas isolé dans le sport de haut niveau et ne se limite certainement pas au judo. Pourtant, les récits se suivent… et se ressemblent!!

Comme beaucoup de judoka.te.s, nous apprenons, très tôt, qu’une carrière sportive sans opération chirurgicale est aussi fréquente qu’une manche de curling en plein Sahara.
L’extrême tolérance à la douleur fait donc partie de notre éducation martiale, comme une forme de fatalité avec laquelle nous apprenons à vivre (sinon, on n’a qu’à s’inscrire à un cours de tricot !). 
J’avoue, ça débouche parfois sur des scènes cocasses, comme la tête apoplectique d’un nouveau kiné lorsqu’à tout juste 20ans, je me vantais en toute sincérité d’être si bien préservée « avec seulement des fissures aux vertèbres, une infiltration au coude et une épaule démise ».

Nos encadrants (ayant eux-mêmes évolué et souffert dans ces schémas dysfonctionnels) continuent à reproduire de tels comportementsparfois lourds de conséquences. Mais, ils y ont bien survécu à leur époque -à savoir une époque plus ingrate que la nôtre! Donc, forcément, il faut endurer cela pour devenir fort, non ?
Est-ce réellement le prix à payer ? Je me pose la question plus que jamais. Et, à supposer que ce soit le cas, ne mérite-t-on pas, de la part des structures, censées nous soutenir et nous accompagner, tous les efforts possibles pour nous préserver de blessures aussi graves qu’inutiles?

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