Écriture d’un récit suite (part 3)

Ecrit par Lola Mansour

6

Notre société vole en éclats !
Entre ces anti-spécistes proches de l’ordre des ruminants, ces mouvements féministes qui prônent la castration, ces cirques LGBT où défilent tous les clowns de la société, ces cafés alternatifs convertis en squats communistes, ces marches pour le climat réunissant des bourgeois trop heureux de manifester… Non, je n’ai rien contre l’activisme : j’avais signé la pétition contre l’ouverture d’un centre pour migrants dans la province!

– AAAH !!! Depuis combien de temps êtes-vous plantée dans mon entrée ?!
– Je suis arrivée à 18 heures précises, soit l’heure du souper.
– Comment êtes-vous rentrée ?! Ne vous est-il pas venu à l’esprit de vous manifester ? Bon sang !
– Vous étiez si élégant, perdu dans vos pensées… Je n’ai pas eu le cœur à interrompre l’harmonie qui régnait dans cette pièce.
– En revanche, vous étiez prête à interrompre mon cœur tout court !

George, toujours aussi faible devant la gente féminine, se précipite vers mon invitée. Agacé par ces élans d’affection, je balance un jet d’eau en direction de mon chien et il déguerpit aussitôt, apeuré par le liquide inoffensif. La gamine me foudroie du regard.

– Pauvre George ! Vous n’avez pas honte ?!
– Je regrette d’avoir manqué votre tignasse! Un peu d’eau pour enlever cette peinture vous aurait rendu service.
– Je vous donnerais volontiers quelques gouttes de ma teinture pour colorer vos trois poils grisonnants sur le crâne.
– Je vous ai assez entendue! Passons à table.

Identique à ce midi, la névrosée se précipite sur son pain de viande comme un sprinteur vers sa ligne d’arrivée. Même mon bulldog s’interrompt quelques instants, décontenancé par un comportement aussi bestial.
Mes grimaces outrées ne perturbent pas la gloutonne. Dans un élan charitable, je décide de lui glisser un conseil.

– En tous cas, jeune fille, il faudra adopter de meilleures manières à table lorsque vous serez séductrice, épouse, puis mère.

Ma remarque lui paraît tellement pertinente, qu’elle avale sa dernière bouchée de travers. Fier de ce début constructif, je poursuis pendant qu’elle finit de s’étouffer. 

– Vous êtes mieux placée que moi pour savoir qu’il vous faudra beaucoup de temps et d’efforts avant d’atteindre une telle prouesse. Mais ma défunte compagne, éternelle optimiste, aimait répéter à mes fils: « À chaque pied son chausson ». Même les chaussons troués peuvent trouver le gros orteil adéquat !
– Voilà donc à quoi vous réduisez les femmes ?!

Sapristi ! Comment espérer évoluer lorsque le débat est aussi fermé ?! Je m’accroche à mon argumentation de départ, telle une tique sur un mollet chaud. 

– Profitez de mes enseignements tant que j’ai la clémence de vous les offrir! Sinon, votre futur mari -si vous avez la chance d’en trouver un- vous préférera en train de suffoquer avec du pain de viande!
– C’est très bien ! Plutôt m’étrangler avec de la malbouffe que m’enfermer dans ces stéréotypes de l’Âge de Pierre!
– Pff! Vous comprendrez mieux le jour où vous cesserez de penser avec vos sentiments!

La primitive éclate de rire pendant de longues minutes, manquant de basculer de sa chaise.


– Parce que, bien sûr, il n’y a pas plus rationnel que le patriarcat.
– Absolument ! C’est le féminisme qui est contre-nature et contre-raison. Sans hommes vertueux pour nous faire évoluer, nous n’aurions jamais pu nous asseoir à cette table!
– Sans femmes pour les concevoir, les éduquer et travailler dans l’anonymat historique, vos hommes vertueux n’auraient jamais existé ! 
– Et les hommes les ont remerciées en leur offrant un foyer, une stabilité financière et même un droit de vote tardif. Mais non, il faut toujours réclamer plus, éternelles insatisfaites!
– Votre misogynie ferait passer Trump pour une Suffragette!
– Triste jeunesse qui se forme avec des convictions erronées!
– Pauvre vieux, prêt à nous quitter avec ses idées rétrogrades.
– Ha! Voilà une occasion propice pour trinquer!

Sans attendre, je me dirige vers ma vieille armoire à liqueurs et choisis une bouteille de whisky japonais, offerte par mon cadet à son retour d’une mission à Osaka.
Quelle étrange sensation de remplir deux verres au lieu du seul que j’ai l’habitude de me préparer… J’en éprouve une curieuse satisfaction. 
La jeune femme m’observe avec un rictus, comme si elle venait de lire ces dernières pensées. Je fronce aussitôt les sourcils, afin d’écarter toute conclusion farfelue de son esprit. 
Sans un mot, nous percutons fermement nos digestifs, en l’honneur des malheureux départs et arrivées qui se profilent. La soirée se clôture sur une note édulcorée. 



7

Ce bas monde…explose dans mon crâne ! 
Quelle heure est-il ? Pourquoi suis-je sur mon fauteuil, en position horizontale, couvert avec le plaid de mon chien ?!
Aïe ! Des tambourins et cymbales se déchaînent dans ma boîte crânienne! 

Je me redresse dans l’espoir d’atténuer cette cacophonie. Hélas, au lieu d’améliorer mon état, j’ai désormais l’impression de naviguer sur une mer capricieuse. Mes céphalées, de plus en plus vifs, me provoquent des étourdissements et mes organes se compriment comme une mêlée de rugbymen gallois.
Je comprends enfin : mon heure a sonné. Voilà qui m’apprendra à trinquer à ma mort avec la petite. Cette fille… MAIS OUI ! Il me semblait bien qu’elle cachait quelque chose de louche. Un élément mystérieux que je ne parvenais pas à cerner! Elle n’est autre qu’un ange de la mort, venue m’aider à tirer ma révérence. Et moi, abruti fini, j’ai eu la bonne idée de célébrer mon futur départ hier soir!
Mon coeur bat dans mes tympans -probablement les derniers battements que j’entendrai sur cette terre. Pauvre George, bientôt orphelin de son maître… Comprend-il la gravité de la situation ? Où est-il d’ailleurs ? 

– GEOoo…

Mes lèvres sont tellement sèches que je ne parviens plus à l’appeler. 
Je me sens si fébrile. Luttant vaillamment contre ma détérioration, je pars me remplir un dernier verre d’eau et le dépose près de mon fauteuil de condamné pour ne pas mourir déshydraté. L’effort fut si intense que je dois m’allonger quelques secondes avant de me désaltérer. 
De nouvelles percussions, plus maladroites, s’ajoutent au vacarme. Il s’agit des lapements de George, qui s’est précipité sur mon breuvage.  

– Maudite bête !!! N’as-tu pas honte de saboter mon ultime boisson !

La sonnette retentit. Il est midi pile, je connais l’identité de ma visiteuse. J’ouvre mon entrée et pars me recoucher aussitôt, traînant des pieds comme si tout le poids de mon existence y était accroché. Je l’attends sur le dos, les deux mains posées sur le torse, prêt à m’en aller dignement.

– Mr Désespéré ! Que faites-vous allongé dans une telle obscurité avec cet air meurtri ?!
– C’est bon, j’ai compris. Cessez votre petit jeu, enfilez votre cape noire et déguerpissons une fois pour toute. 

La faucheuse éclate de rire. Sa joie de vivre à un moment aussi critique me vexe. Ignorant son manque d’empathie, je poursuis sur un ton grave : 

– Assurez-vous de bien remplir la gamelle de George, sinon cet ingrat risque de me prendre pour un amuse-gueule avant que mes fils ne tombent sur mon corps.
– Ma parole, vous êtes en plein délire !
– Dites-moi, chère entité, pourquoi vous êtes-vous manifestée alors que j’étais en pleine santé ?
– Euh… Je me suis “manifestée” car il est midi et j’ai la dalle !

Stupéfait par sa sincérité, je m’assieds d’un bond et la regarde, incrédule. 

– Vous voulez dire que vous n’êtes pas un ange de la mort ?!
– Mais enfin Mr Désespéré, moi qui vous pensais si rationnel jusqu’à hier !
– Voyons, c’est impossible ! Je suis mourant. Regardez-moi, j’ai tous les symptômes d’un départ imminent !
– Vous avez surtout les signes d’une gueule de bois. Il faut admettre que votre whisky était plutôt corsé et manifestement, un peu hallucinogène !
– Mon whisky ?
– Mais oui, au bout de notre cinquième toast: en l’honneur d’une gauche embourgeoisée et d’une droite trop progressiste, il a fallu que je vous couche sur ce fauteuil. Je n’aurais jamais cru vous trouver dans la même position à cette heure-ci le lendemain ! 
– Mon whisky ! Un Japonais ! Je savais qu’on ne pouvait pas leur faire confiance à ces fourbes !
– Vous revoilà vous-même. Quel dommage! J’aimais bien vous entendre me qualifier d’ « entité ».
– Quant à vous, vous êtes encore plus sournoise que les Nippons, avec vos mille courbettes pour m’amadouer !
– D’ailleurs, Sensei, j’ai un entretien d’embauche dans quarante-cinq minutes ! On mange quoi ce midi?
– Servez-vous dans mon réfrigérateur et fichez-moi la paix. Votre voix stridente accentue ma migraine ! Je pars me coucher dans un vrai lit.
– Merci M’sieur ! Voulez-vous que je vous prépare quelque chose pour votre réveil ?
– J’ai la nausée ! Si vous tenez à vous rendre utile, sortez ce maudit chien qui grouine comme une truie en chaleur depuis votre arrivée. Finalement, vous êtes bien assortis.
– Ne vous inquiétiez pas, je m’occupe de Lord George ! Récupérez des forces pour ce soir et buvez beaucoup d’eau. C’est le remède miracle pour ce genre de maux!
– C’est cela. Au revoir.

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