Parlons des commotions cérébrales au judo!

De l’inertie au tatami. Après 3 ans de convalescence et réathlétisation, je partage ici les nombreux éléments que j’aurais aimé savoir dès le départ sur les commotions cérébrales dans le sport de haut niveau. Voici ce que j’ai appris sur les séquelles, la prise en charge et les différentes étapes avant d’envisager un retour sur le tatami.
Ecrit par Lola Mansour

L’entraînement du 21 février 2018 restera longtemps gravé dans ma mémoire… ou pas! En fait, j’ai quasi tout oublié de cette nuit (chose assez courante après un choc sur la tête, plus tard diagnostiqué comme  «commotion cérébrale»). Cet accident aura pourtant bouleversé ma carrière sportive, mon quotidien et même certains traits de ma personnalité.
Dans un sport aussi traumatisant que le judo, nous entendons souvent parler d’épaules démises, de ligaments croisés déchirés, d’hernies discales, de coudes luxés, d’arrachements osseux… Mais, paradoxalement, les commotions cérébrales restent un concept flou, assez peu évoqué. Or, le cerveau est un organe essentiel dont le moindre dysfonctionnement altère notre qualité de vie.
La durée de convalescence pour une commotion varie d’un cas à l’autre -contrairement à une blessure « purement physique », où les délais restent nettement plus précis. Il existe donc des athlètes qui, après seulement 48 heures, retournent à l’entraînement en pleine forme. D’autres, en revanche, mettront plusieurs semaines, des mois, parfois des années! Pourquoi? Aucune idée!
Sans doute, plusieurs facteurs interviennent: une grande part de chance (ce soir-là, j’ai tiré le mauvais numéro!), la gravité du choc mais aussi, la prise en charge médicale (puis sportive) dès que certains symptômes se prolongent.
Par exemple, au Canada, il existe un protocole détaillant différents paliers à respecter dès la suspicion d’une commotion (voir les liens ci-dessous). Cet outil permet non seulement de confirmer les symptômes expérimentés (parfois compliqués à admettre ou identifier) mais il propose surtout une voie de guérison avec des repères concrets. Hélas, j’ai eu accès à ces informations avec plusieurs mois de retard mais je le recommande à toute personne (sportif.ve, coach, kiné, parent) susceptible d’être confrontée à ce type de traumatismes directement ou non.

Récemment, lors d’une conversation avec une amie, je tentais de justifier l’amateurisme dont avait fait preuve mon encadrement sportif à l’époque, au cours des multiples tentatives de retour à l’entraînement (rapidement suivies de fortes régressions). Huit mois durant lesquels j’eus l’impression d’être un  « cobaye de haut niveau », à tenter différentes approches aléatoires, sans réelles connaissances sur la question (en septembre 2018, après notre dernière tentative, intitulée « la manière forte » par les entraîneurs fédéraux, j’étais à ramasser à la petite cuiller).
Je lui évoquais donc cette part de « mystère » qui expliquerait certaines complications ou erreurs dans le suivi, ce à quoi elle m’avait répondu: « Non mais on parle d’un sport de contact! Je n’y connais rien en sport mais le risque de commotion me paraît tellement logique! Tu ne t’es pas fait piquer par une araignée radioactive du fin fond de la forêt amazonienne!!!».


Sa remarque m’a donné envie de partager mon expérience pour, peut-être, éviter à d’autres judoka.te.s (ou autres) de traverser les mêmes doutes, incompréhensions et moments de détresse qui ont suivi cette blessure si particulière (certes, plus fréquente qu’une araignée radioactive d’Amazonie!🌳🙊).
Aussi, j’aimerais montrer qu’avec l’approche adéquate, il est possible de s’en remettre, malgré des circonstances défavorables, des pertes physiques conséquentes et un moral au plus bas.
Si j’ai manqué le coche le soir de cette fameuse chute, je peux aujourd’hui aspirer à des objectifs sportifs plus ambitieux grâce aux quelques rencontres clés qui m’ont tendu la main et aidée à nager à contre-courant durant ces 2 dernières années. Cette loterie favorable a commencé en décembre 2018, quand je me suis rendue au cabinet du Dr. Pascal Oger à Bruxelles. Quant à la suite, elle est toujours en construction 🙂 .

A mon retour des urgences, le 22/02/2018

*Protocole Judo Canada:

FR: https://www.judocanada.org/wp-content/uploads/2018/10/Protocole-sur-les-Commotions-Cerebrales-de-Judo-Canada-2018.pdf

ENG: https://www.judocanada.org/wp-content/uploads/2018/10/Judo-Canada-Concussion-Protocol-2018.pdf



CONSEILS ET OUTILS IMPORTANTS

1) Se munir d’un support pour le suivi des symptômes et de la progression

Quand on est confronté.e à des symptômes « invisibles » et aussi insidieux, il est important de trouver un moyen d’évaluer les difficultés et les progrès de façon plus matérielle. D’autant plus si on entame une revalidation susceptible de durer, avec une évolution qui se mesurera sur le long terme.
Peu importe la forme: un carnet de bord, des tableaux, des codes couleurs… De plus, il s’agira d’un bon outil de communication avec les entraîneurs et/ou le staff médical. Au fil des séances, les personnes encadrant l’athlète cerneront mieux les symptômes (et leurs causes) et elles pourront continuellement ajuster le tir sur le terrain.

Dans mon cas, je notais l’intensité des symptômes sur une échelle entre 0 et 5, avec comme objectif de ne jamais dépasser le niveau « 3 » durant l’entraînement (si c’était le cas, je devais veiller à une récupération complète le lendemain). Régulièrement pendant la séance, Édouard (l’étudiant en charge du programme) me demandait à quel chiffre je me situais. Grâce à ce système, nous pouvions décider de pousser les limites, de réduire l’intensité ou de maintenir les efforts habituels. Les exercices ou le nombre de répétitions pouvaient se modifier en cours d’entraînement.
En plus des sensations sur le terrain, cet outil complémentaire permettait une meilleure lecture de mon évolution. Nous savions que nous progressions quand nous constations: de plus grands écarts entre les chiffres pendant/après/le lendemain de la séance (= meilleure récupération), une diminution générale des symptômes pour même séance ou des symptômes identiques lors d’efforts plus contraignants pour ma tête.

2) Travailler en binôme

Traverser une telle épreuve seule est une mission impossible (déjà pour des rééducations « standards », l’accompagnement d’un.e kiné ou d’un.e préparateur.ice attentif.ve fait la différence!). Personnellement, rien que la perspective d’une structure à l’écoute au sein de la Faculté des Sciences de la Motricité avait démarré une nouvelle dynamique.
Nous ne savions pas si cette méthode en douceur allait fonctionner mais le Professeur Carpentier, Mehdi (doctorant) et Édouard (étudiant en MA2) étaient prêts à embarquer avec moi pour relever ce défi. J’avais enfin un soutien concret, professionnel et sur mesure, avec le Dr. Oger pour le bilan médical régulier, Jean Colinet au niveau de la préparation mentale et l’équipe de l’ULB pour assurer un suivi hebdomadaire.
Je recommanderais donc de désigner (au moins) une personne de référence sur le terrain, qui accompagnera l’athlète à travers chaque étape de la réathlétisation. Un suivi uniquement à distance ne permet pas une bonne compréhension de cette blessure et des nuances à apporter à la préparation. Cette présence apportera aussi un regard extérieur par rapport aux symptômes, aux progrès réalisés (surtout lorsque la frustration et l’impatience l’emportent) et veillera à ce que l’athlète ne dépasse pas un certain seuil de douleur. Il s’agit d’un travail permanent de feedback, d’intuition, de confiance et de communication.

3) Rester dans le  « positif »

Quelques expressions à bannir du vocabulaire : « Mords sur ta chique! », « On fait du judo, pas de la danse! », « Nous sommes des machines »,… Bien que le dépassement de soi reste une vertu essentielle dans tout sport, il serait temps de déconstruire cette valorisation de la souffrance à n’importe quel prix. Travailler constamment dans la douleur n’est pas une méthode durable, encore moins lorsqu’il est question du cerveau. Au contraire, dans ce cas précis, il a fallu écouter mon corps à l’excès et entièrement me plier au rythme imposé par mon organisme. Si je tentais de brûler les étapes ou de forcer, les symptômes finissaient par s’intensifier et les rechutes étaient de plus en plus violentes.
C’est donc la méthode « ultra-douce » ou rien!

4) Abandonner les échéances/ objectifs avec des dates précises.

Inutile d’ajouter des éléments de pression qui pousseraient l’athlète à prendre des risques inutiles avec sa santé et un échec très probable à la clef (je ne parle pas ici de performance mais de cet effet boomerang que j’évoquais juste au-dessus). L’unique objectif doit être de se débarrasser des symptômes, en dehors de tout calendrier sportif.

5) Laisser passer l(es) orage(s)

Malgré toutes les précautions, il y aura des jours difficiles avec de violentes migraines, où tout semble insurmontable, même des tâches aussi banales qu’une conversation téléphonique, écrire un email, promener son chien ou regarder la télé. Bien entendu, le but sera d’éviter d’en arriver à des états aussi critiques et réduire l’intensité ou la durée de ces symptômes. Mais dans ces cas-là, il faut « simplement » laisser passer la tempête et cesser toute activité jusqu’à une récupération totale au repos. Parfois, la solution c’est de ne rien faire.

6) L’environnement s’adapte à l’athlète (et non l’inverse!)

Pendant longtemps, je me suis arrangée pour m’entraîner seule avec Édouard dans la salle de l’ULB (sans musique, parfois même avec les lumières éteintes). Ou, plus tard, je me rendais aussi au fitness avec un casque de protection pour le bruit, en sélectionnant les horaires creux. Quant au milieu extérieur, je tentais de m’y habituer progressivement, d’abord sans efforts physiques: en allant boire un thé avec un.e ami.e (dans des endroits et à des horaires rigoureusement sélectionnés) ou en assistant à des spectacles de stand-up (soit l’un des seuls loisirs adaptés: lumières sombres, peu de boucan durant le one-woman show et une écoute passive m’épargnant trop de conversation durant la soirée).

Surtout au début, il est important de trouver un encadrement entièrement adapté aux besoins et sensibilités de l’athlète, quitte à l’extraire provisoirement de sa structure habituelle/ de son équipe. Sinon, le/la sportif.ve sera en permanence confronté.e à ses manquements, en se référant à des coéquipier.e.s en pleine forme.
Aussi, en cas de sensibilités aux stimuli extérieurs (bruit, lumières, mouvements autour de soi), il vaut mieux commencer par éliminer tous les facteurs risquant d’accentuer les migraines. On ne peut pas attaquer toutes les difficultés en même temps! On crée une « bulle » à part, avec de nouvelles normes et des objectifs personnalisés pour se donner toutes les chances de réussite.

7) Le judo en dernier lieu!

J’ai mis du temps à le comprendre: il n’existe rien de tel que du judo « léger » quand on a une blessure à la tête. Même la séance technique la plus réduite possible reste beaucoup trop contraignante à plein de niveaux: déplacements, secousses, coordination, concentration… Avant de repasser au contact et aux chocs avec un.e partenaire sur le tatami, il est important de se sentir à l’aise dans toute la panoplie d’efforts physiques à faire seul.e (en partant du général pour progressivement se diriger vers le spécifique).
J’ai joint quelques images et vidéos en-dessous pour vous montrer cette progression vers le tatami.









Bon, j’ai trop écrit, je vous laisse découvrir la suite en images 🙂


STEP 1: Retour à une activité physique légère, sans douleur

Travail de gainage et équilibre. Quasi pas de mouvement, ni d’efforts intensifs. En plus d’un cardio en marche, à basse intensité et de courte durée (pas besoin de beaucoup de rythme pour faire monter les pulsations, rien que descendre les escaliers vers la salle m’essoufflait!😭)






STEP 2: Exercices musculaires (statiques).

**J’ai triché en mettant ces vidéos filmées bien plus tard. Ca me déprimait trop de me voir soulever des confettis! Mais ça ressemblait +/- à ceci, sans monde autour, avec des poids en frigolite et des séries basiques de 10-12 répétitions X1 (puis 2, puis 3…).






STEP 3: Progressivement intégrer des intervalles et du mouvement

Le bosu permet d’amortir les chocs avec le sol

Puis tâter le judogi, juste pour le plaisir!









STEP 4: Un peu plus d’intensité et …des roulades!








STEP 5: Initiation aux mouvements explosifs avec changement de hauteur.

Pendant ce temps, je progresse en équlibre🧘🏻‍♀️.







STEP 6: Exercices explosifs complets

Là, j’imagine que le ballon est une adversaire.













STEP 7: Lockdown, ou l’occasion de renouer avec la course à pieds

Il m’aura fallu 2 ans avant d’être capable de refaire un premier footing. Là aussi, nous avons procédé de manière progressive, en alternant d’abord entre course lente et marche, puis en diminuant le temps de marche au fil des séances. L’objectif étant d’entraîner ma tolérance aux chocs/ secousses sur une durée plus longue.

Toujours bien accompagnée par André Cornut, mon premier entraîneur au JC GANSHOREN et joggeur expérimenté ♥️



Premier 10K sans interruption jusqu’à l’Atomium🐢

Ma grand-mère rêvait de nous accompagner 🙄









STEP 8: Reprise progressive du contact.

©Bernard Demoulin









STEP 9: ENFIN un début de tatami

**Images datant d’avant le confinement partiel

Pour la reprise du judo, nous avons utilisé la même méthodologie et les mêmes repères que lors du travail en salle. Nous avions désormais toutes les bases et un  « protocole » sur mesure grâce au long travail à l’ULB pour commencer ce transfert sur le tatami en confiance (jusqu’à ce que les dernières mesures sanitaires interrompent les sports de contact!). Tout était à refaire, cette fois en judogi🥋🙃





STEP 10: Mouvements complets & rotations avec contact (basse intensité)









STEP 11: Augmentation des stimuli et du rythme cardiaque dans un effort spécifique

Exercices avec signaux lumineux pour travailler la concentration pendant un effort avec « chocs » et accélérations.









STEP 12: Reprendre confiance dans les mouvements plus engagés

Devant un public conquis🙌










STEP 14: Retrouver les automatismes, plus de contact et intégrer les mouvements à genoux.










STEP 15: Ca commence à ressembler à du judo…

Avec Ilse Heylen comme coach principale et Clotilde pour l’analyse video.







3 ans après, je suis devenue une judokate plus complète 🥋✊💥



Et bien entourée 🙏💯



To be continued…

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Schaller
Schaller
3 années il y a

Beau travail sur les méthodes de ré validation pour un judoka atteint de commotion cérébrale. Exposé pertinent avec des vidéos très pratiques, tout cela enrobé d’une pointe d’humour nécessaire pour entamé ce parcours du combattant.

ALBANO
ALBANO
3 années il y a

Bravo de donner l’espoir aux personnes qui douteraient d’un possible come back.

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